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Démence à corps de Lewy

La démence à corps de Lewy se caractérise par un déclin cognitif, des troubles visuels et spatiaux, des fluctuations de la vigilance et de l’attention, des hallucinations et des troubles moteurs.

La plupart des cas de démence à corps de Lewy sont sporadiques. Certains cas héréditaires ont été rapportés.

Historique

1912: le scientifique Friederich Lewy observe pour la première fois des ‘inclusions’ d’une dizaine de microns (un millième de millimètre) de diamètre, à l’intérieur des neurones. Ces inclusions, formées de dépôts de protéines appelées alpha-synucléine, avaient été décrites auparavant dans la maladie de Parkinson. Ces inclusions sont par la suite appelées corps de Lewy.

Corps de Lewy (1) à l’intérieur d’un neurone (2), coloré en rose  par   l’hématoxyline ( u n c o l o r a n t d u cytoplasme). La partie centrale du corps de Lewy (1), de couleur dense, est entourée d’un halo, de couleur pâle (3). La forme des corps de Lewy dépend de leur localisation. Ainsi, les corps de Lewy  situés dans le cortex cérébral sont dépourvus de halo, contrairement à ceux situés dans le tronc cérébral.

1923: Friederich Lewy signale l’existence de troubles mentaux chez des patients atteints de la maladie de Parkinson. Il suggère la présence de ‘corps étrangers’ (appelés ultérieurement corps de Lewy par le Pr Tretiakoff) à l’intérieur des neurones.

1961: le Pr Okazaki rapporte le cas de deux patients atteints de démence associée à des troubles du comportement et moteurs. L’autopsie révèle la présence de corps de Lewy dans le cortex cérébral.

1984: Le Pr Kosaka propose le terme de maladie à corps de Lewy après avoir recueilli un certain nombre de cas de patients atteints de démence. Ces patients présentaient des corps de Lewy dans  le  tronc  cérébral  et  dans  certaines  régions  du  lobe  temporal  liées  au  système limbique (cortex cingulaire antérieur, amygdale et hippocampe).

1996: Un groupe de chercheurs organise une conférence dans le but de définir les critères diagnostiques de ce qui appelé maintenant la démence à corps de Lewy (en abrégé DCL). La DCL est donc définie comme une démence neurodégénérative regroupant les termes suivants : maladie diffuse à corps de Lewy, maladie corticale à corps de Lewy, maladie à corps de Lewy, la démence sénile de type Lewy, la démence avec corps de Lewy, la variante à corps de Lewy de la maladie d’Alzheimer.

Ce groupe de travail révisa les critères diagnostiques cliniques et pathologiques et inclut de nouvelles recommandations sur la manière de mieux déceler les symptômes cliniques.

Epidémiologie de la démence à corps de Lewy

La DCL représente de 10% à 22% des cas de démence après autopsie. A titre de comparaison, la maladie d’Alzheimer et la démence vasculaire représentent respectivement 40-70% et 10-15% des cas de démence. Elle représente donc la seconde cause de démence.

L’âge moyen d’apparition se situe entre 50 et 70 ans, et touche plus particulièrement les hommes. Une minorité de patients atteint de DCL souffre également de la maladie de Parkinson. Cependant, contrairement aux patients atteints de Parkinson, les symptômes moteurs sont généralement bénins et ne s’accompagnent pas de tremblements de repos. La plupart des personnes atteintes de DCL présentent des symptômes et lésions caractéristiques de la maladie d’Alzheimer.

Facteurs génétiques

La plupart des cas de DCL sont sporadiques, c’est-à-dire qui affectent les individus de manière irrégulière. Il existe cependant des mutations génétiques qui peuvent augmenter le risque de développer une forme sporadique de la maladie.

Il existe également des formes familiales de la maladie, s’expliquant par la mutation de gènes (par exemple le gène de l’alpha-synucléine).

Lésions histologiques de la démence à corps de Lewy

Les corps de Lewy. Ces lésions typiques de la DCL contiennent des protéines appelées alpha- synucléine et ubiquitine. Ces corps de Lewy se trouvent à l’intérieur des neurones situés dans les régions corticales (hippocampe, cortex cingulaire, amygdale, noyau basal de Meynert, hypothalamus) et sous-corticales (substance noire, locus coeruleus, noyau du raphé, noyau moteur du nerf vague) du cerveau. Les régions du cortex frontal sont moins touchées.

Corps de Lewy (flèche noire) à l’intérieur d’un neurone. Coupe de cerveau post-mortem provenant d’un patient atteint de démence à corps de Lewy.

La présence des corps de Lewy dans les régions corticales semble reliée à la détérioration des fonctions intellectuelles.

On observe des prolongements de corps de Lewy dans les régions du système limbique et du lobe temporal.

Corps de Lewy et Alzheimer. Une proportion notable de patients DCL présente des lésions évocatrices de la maladie d’Alzheimer : dépôts de filaments appariés en hélice (également appelés dégénérescences neurofibrillaires) et plaques amyloïdes. Toutefois, ces dépôts de filaments sont moins fréquents dans les cerveaux de patients DCL. Selon l’échelle de Braak, leur nombre se situe entre ceux d’un sujet sain de même âge et celui d’un patient Alzheimer. En revanche, le nombre de plaques amyloïde est sensiblement identique dans les deux maladies, et apparaissent plus diffuses dans la DCL.

Corps de Lewy et maladie de Parkinson. Les corps de Lewy sont détectés dans les régions sous- corticales (substance noire et locus coeruleus) de cerveaux de patients parkinsoniens.

La neuroimagerie fait état d’une légère atrophie de l’hippocampe dans la DCL, comparée à des cerveaux de sujets sains. L’activité du cortex visuel primaire est réduite chez les patients souffrant de DCL.

D’autres types de lésions – appelées spongioses – apparaissent dans les régions du lobe temporal, en particulier l’amygdale.

Visualisation des corps de Lewy (pastille rose) dans les différentes régions du cerveau humain vu de face (coupe frontale). En haut à gauche : la localisation des régions sur un cerveau vu de profil. Le noyau basal de Meynert, l’hippocampe et l’amygdale sont impliqués dans la mémoire. Le cortex cingulaire joue un rôle dans la prise de décision et l’émotion. L’hypothalamus joue un rôle dans le comportement émotionnel, le contrôle de la soif/faim et le rythme circadien.

Visualisation des corps de Lewy (pastille rose) dans les différentes régions d’un cerveau humain. En haut à gauche : la localisation des régions sur un cerveau vu de profil. On remarque que la coupe frontale est située plus en arrière du cerveau que la précédente. La substance noire joue un rôle dans la motricité. Le nerf vague (nerf crânien X) innerve entre autres le cœur.

Modifications des neurotransmetteurs

La présence de ces lésions dans certaines régions spécifiques du cerveau a bien entendu des répercussions sur le fonctionnement des neurones.

La démence à corps de Lewy s’accompagne d’une perte de neurones dans la substance noire et le noyau basal de Meynert, entraînant respectivement une baisse de la production des neurotransmetteurs appelés dopamine (DA) et acétylcholine (Ach).

L’Ach est le neurotransmetteur de la mémoire et de l’attention, alors que la DA est impliquée dans le contrôle de la motricité.

La mort des neurones sécrétant l’Ach est vraisemblablement responsable des troubles cognitifs affectant en particulier l’attention, la concentration, les capacités visuo-spatiales, ainsi que les hallucinations visuelles.

Les troubles moteurs de type parkinsonien sont provoqués quant à eux par une perte des neurones de la substance noire produisant la DA. Une perte neuronale a également été décrite dans le locus coeruleus, une région du cerveau étroitement liée au système limbique et synthétisant la noradrénaline, un neurotransmetteur excitateur. Cette mort neuronale peut être à l’origine des troubles du comportement du sommeil paradoxal observé dans la maladie.

Trois principaux systèmes neuronaux sont donc touchés dans la DCL: systèmes cholinergique (Ach), dopaminergique (DA) et noradrénergique (NA).

Les trois systèmes neuronaux affectés dans la DCL (coupe latérale de cerveau humain)

Le système cholinergique. Le noyau basal de Meynert (cercle noire) contient des corps cellulaires de neurones (cercle noir) se projetant vers une grande partie du cortex et l’amygdale (flèches noires). Ces neurones synthétisent l’acétylcholine, un neurotransmetteur impliqué dans le stockage et le rappel de la mémoire, la motivation et l’attention. On observe une perte importante de neurones du noyau basal de Meynert dans la DCL et la maladie d’Alzheimer (environ deux tiers de perte). L’autre noyau sécrétant l’acétylcholine est le septum (cercle bleu), dont les neurones se projettent dans l’hippocampe (flèche bleue).

Le système dopaminergique. La substance noire est composée de neurones (cercle vert) se projetant dans le striatum (une région cérébrale impliquée dans les fonctions motrices). Ces neurones synthétisent la dopamine et sont particulièrement touchés dans la DCL et la maladie de Parkinson.

Le système noradrénergique. Le locus coeruleus (cercle rouge), situé dans le tronc cérébral, contient des neurones se projetant dans le cortex, le cervelet et la moelle épinière (flèches rouges). Ces neurones synthétisent la noradrénaline, un neurotransmetteur excitateur.

Ce tableau résume les caractéristiques pathologiques et biochimiques de la démence à corps de Lewy (DCL), maladie d’Alzheimer (MA) et la démence associée à la maladie de Parkinson (DMP*).

*DMP : bien que la maladie de Parkinson se traduise essentiellement par des troubles neurologiques moteurs, plus de la moitié des patients parkinsoniens développent une démence après la 5e année.

DCL MA DMP
Types de lésions
Plaques amyloïdes ++ ++ (cortex pariétal, temporal et occipital) 0
Dépôts de filaments appariés en hélice + (confinés dans les régions limbiques) ++ 0
Corps de Lewy ++ (substance noire, locus coeruleus, cortex temporal, système limbique, cortex visuel associatif) 0 + (régions sous- corticales : substance noire et locus coeruleus)
Biochimie
Baisse des niveaux d’acétylcholine ++ ++ +
Baisse des niveaux de dopamine ++ (striatum) 0 ++

Légende:

Ces différences indiquent que la DCL est une pathologie distincte, et non une variante des maladies d’Alzheimer et de Parkinson, mais ayant les traits de l’une et de l’autre.

Signes cliniques de la démence à corps de Lewy

Les signes cliniques se caractérisent à la fois par des troubles neurologiques, psychologiques et comportementaux, se déclarant insidieusement et progressant sur une période de plusieurs mois à plusieurs années. L’âge d’apparition de la DCL varie entre 50 et 80 ans. Les hommes sont légèrement plus affectés que les femmes.

Selon les recommandations du groupe d’experts internationaux, les critères indispensables au diagnostic de la DCL sont:

A ces critères principaux, s’ajoutent des critères dits secondaires. Deux critères suffisent au diagnostic de DCL probable, un critère pour le diagnostic de DCL possible).

Un questionnaire comprenant quatre items évalue avec une certaine précision la présence de ces fluctuations. Ces items sont :

Ce questionnaire décèle avec une forte probabilité (valeur prédictive positive* = 83%) la présence d’une DCL (et l’absence d’une maladie d’Alzheimer) si trois des quatre critères sont remplis.

Valeur prédictive positive d’un signe pour un diagnostic : probabilité que le diagnostic soit vrai si le signe est présent.

D’autres critères supportent la présence d’une DCL:

Critères diagnostiques

Critères
Critères incontournables Déclin cognitif progressif,   Trouble de mémoire persistant, pas nécessairement au stade précoce,   Déficit de l’attention et de la capacité visuelle/spatiale.
Signes importants de la maladie Fluctuations cognitives,   Hallucinations visuelles récurrentes,   Symptômes moteurs de type parkinsonien.
Critères d’exclusion P r é s e n c e d ‘ u n e m a l a d i e cérébrovasculaire (AVC, ischémique transitoire) validée par l’imagerie cérébrale,   Symptômes parkinsoniens ne survenant qu’au stade sévère de la démence.

Ces critères permettent de distinguer avec une faible marge d’erreur un patient atteint de DCL d’un sujet normal sain (spécificité* de l’ordre de 80-100%). En revanche, leur sensibilité** est faible et très variable (de 22 à 80%), suggérant que la prévalence de la DCL est sous-estimée.

On estime qu’un individu a 80% de risque d’être atteint d’une DCL s’il souffre:

La communauté médicale met l’accent sur les fluctuations de la vigilance et de l’attention.

Diagnostic différentiel

Le médecin écartera le diagnostic de DCL et soupçonnera une autre pathologie selon que les symptômes sont dominés par des troubles moteurs de type parkinsonien, un déficit cognitif avec perte d’autonomie, ou des troubles psychologiques et comportementaux. Les affections proches de la DCL sur lesquelles le médecin portera une attention particulière sont les suivantes :

D’autres formes de parkinsonismes peuvent être envisagées telles que :

Traitements

Le traitement des troubles psychotiques et comportementaux par des antipsychotiques est délicat car ces patients présentent une hypersensibilité à cette classe de médicaments.

Cette hypersensibilité aggrave le syndrome moteur et induit des états d’agitation aigue, entraînant une institutionnalisation.

Les antipsychotiques sont les médicament de choix, tout en limitant sa posologie. En effet, qu’il soient typiques et atypiques, ils augmentent le risque :

Ils pourraient également aggraver le déficit cognitif en favorisant l’apparition des lésions caractéristiques de la maladie d’Alzheimer (dépôts d’amyloïdes et neurofibrilles).

La rivastigmine, médicament prescrit dans les troubles cognitifs dans la maladie d’Alzheimer, semble diminuer les symptômes neuropsychiatriques (ex. délire) dans la DCL et améliorer la qualité de vie de ces patients.

Cas clinique

Un patient âgé de 80 a été hospitalisé dans une unité psychiatrique, pour des troubles comportementaux (agressivité, état confusionnel) suite à un traitement avec un antipsychotique.

Cette personne a été diagnostiquée préalablement avec une démence associée à un syndrome moteur avec des :

Il recevait la rivastigmine et la piribédil (un agent dopaminergique) depuis un an.

Malgré l’arrêt du traitement à l’antipsychotique (remplacé par un anxiolytique), le patient continuait de présenter une agitation. Un autre anxiolytique a été prescrit accompagné d’un traitement à la clozapine à faibles doses. Les troubles de la marche se sont rapidement réduits, ainsi que ses troubles psychotiques (hallucinations, agitation, agressivité).