Comment une agence québécoise révolutionne l’inclusion des travailleurs neurodivergents

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Quand Émilie Tremblay a postulé chez Juillet Marketing il y a deux ans, elle a fait quelque chose qu’elle n’avait jamais osé faire auparavant : elle a mentionné son TDAH dès l’entretien d’embauche.

« Dans mes emplois précédents, j’essayais de cacher mes difficultés de concentration », confie-t-elle depuis les bureaux de l’agence. « Je travaillais deux fois plus fort pour compenser, et je finissais toujours par m’épuiser. Ici, quand j’ai expliqué que j’avais besoin de pauses fréquentes et d’un environnement calme pour être productive, Jacob m’a dit : ‘Parfait, on va t’organiser ça.’ »

Jacob Hernandez-Bélanger, propriétaire de Juillet Marketing, ne savait pas encore qu’il était en train de transformer sa vision de la gestion d’équipe. Ce qui a commencé comme une simple adaptation pour accommoder une employée talentueuse s’est progressivement développé en une philosophie d’entreprise qui redéfinit complètement l’approche traditionnelle de l’inclusion au travail.

L’étincelle du changement

Pour comprendre la révolution que Hernandez-Bélanger a initiée chez Juillet Marketing, il faut d’abord connaître son propre parcours. Diagnostiqué avec un trouble du déficit de l’attention sans hyperactivité à l’âge de 11 ans, il a longtemps lutté dans des environnements de travail traditionnels qui ne correspondaient pas à son fonctionnement cognitif.

« J’ai passé des années à me battre contre moi-même », confie-t-il avec une franchise désarmante. « J’avais de la difficulté à me concentrer dans les aires ouvertes, et je procrastinais sur les tâches au point où ça nuisait à mes performances. Je pensais que j’étais paresseux ou incompétent. »

C’est cette expérience personnelle qui l’a motivé à créer une agence différente dès le départ. « Quand j’ai fondé Juillet Marketing, je me suis dit : pourquoi construire une entreprise selon des modèles qui ne fonctionnent pas pour moi et probablement pour beaucoup d’autres ? »

L’arrivée d’Émilie Tremblay n’a fait que confirmer ses intuitions. En quelques mois, elle était devenue l’une des designers les plus créatives de l’équipe. Ses idées originales et sa capacité à voir les problèmes sous des angles inattendus ont commencé à attirer l’attention des clients.

« Émilie apportait des solutions auxquelles personne d’autre n’avait pensé », se souvient Hernandez-Bélanger. « En l’observant travailler, je reconnaissais mes propres patterns : cette hyperfocalisation sur les projets qui la passionnent, cette créativité qui jaillit quand l’environnement est adapté. C’est là que j’ai réalisé que nous étions en train de construire quelque chose de vraiment spécial. »

La découverte progressive

Fort de sa propre expérience et inspiré par le succès d’Émilie, Hernandez-Bélanger a commencé à développer une philosophie d’entreprise basée sur l’adaptation plutôt que sur la conformité. « Je me suis dit : si on peut créer un environnement où moi et Émilie sommes à notre meilleur, imagine ce qu’on pourrait accomplir avec une équipe entière de cerveaux qui fonctionnent différemment », explique-t-il.

Cette vision s’est concrétisée avec l’embauche de Marc-Antoine Dubois, un développeur autiste qui avait été licencié de son emploi précédent pour ses « difficultés de communication ». Hernandez-Bélanger voyait en lui un potentiel que d’autres avaient ignoré.

« J’ai reconnu quelque chose dans l’histoire de Marc-Antoine », confie-t-il. « Cette frustration de ne pas pouvoir exprimer son plein potentiel à cause de systèmes rigides qui ne comprennent pas nos différences. Je savais qu’avec les bonnes adaptations, il pourrait exceller. »

« Dans mon ancien job, les réunions étaient un cauchemar », raconte Dubois. « Tout le monde parlait en même temps, il fallait décoder les sous-entendus, et je n’arrivais jamais à placer un mot. Ici, Jacob a instauré des réunions structurées avec un ordre du jour clair et des temps de parole définis. Soudain, je pouvais enfin contribuer. »

L’innovation organisationnelle

Au lieu d’appliquer des solutions universelles, Juillet Marketing a développé une approche personnalisée pour chaque membre de l’équipe. Cette philosophie s’étend bien au-delà des simples accommodements.

Pour Tremblay, cela signifie un bureau isolé phoniquement, des pauses de 10 minutes toutes les heures, et la possibilité de travailler avec de la musique. Pour Dubois, l’agence a mis en place des communications écrites détaillées, des deadlines claires et des feedbacks structurés.

« Nous avons découvert que ces adaptations profitent en fait à toute l’équipe », note Hernandez-Bélanger. « Les communications plus claires, les processus mieux définis, les réunions plus efficaces : tout le monde y gagne. Et pour moi personnellement, diriger une entreprise qui respecte mon propre fonctionnement cognitif m’a permis de devenir un bien meilleur leader. »

La designer neurotypique Sophie Lavoie confirme : « Depuis qu’on a structuré nos méthodes de travail pour accommoder Marc-Antoine et Émilie, je suis beaucoup plus productive. Les briefings clients sont plus précis, les délais plus réalistes, et l’ambiance générale est moins stressante. »

Les résultats concrets

Deux ans après avoir embrassé cette philosophie inclusive, les résultats parlent d’eux-mêmes. L’agence a vu sa créativité exploser, avec plusieurs projets qui ont remporté des prix régionaux. La satisfaction client a augmenté de 40%, et le taux de roulement du personnel est pratiquement tombé à zéro.

« Nos clients remarquent la différence », affirme Hernandez-Bélanger. « Ils nous disent souvent que nos solutions sont plus innovantes, que nos livrables sont d’une qualité exceptionnelle. Ce qu’ils ne savent pas, c’est que cette excellence vient en grande partie de la diversité cognitive de notre équipe. »

L’impact se mesure aussi en termes financiers. L’agence a connu une croissance de 40% depuis l’adoption de ses nouvelles pratiques, passant de quatre à neuf employés. Plus important encore, trois de ces nouvelles recrues sont neurodivergentes, attirées par la réputation inclusive de Juillet Marketing.

Les défis et les apprentissages

Le chemin n’a pas été sans embûches. L’équipe a dû apprendre à naviguer entre différents styles de communication et besoins individuels.

« Il y a eu des moments difficiles », admet Tremblay. « Par exemple, j’ai tendance à interrompre quand j’ai une idée, ce qui peut déranger Marc-Antoine qui a besoin de finir ses phrases. Mais Jacob comprend ces dynamiques de l’intérieur. Il nous aide à développer des signaux et des protocoles en s’appuyant sur sa propre expérience de navigation entre différents styles cognitifs. »

L’agence a également investi dans la formation continue, mais avec une approche unique. « Plutôt que de faire appel uniquement à des consultants externes, nous avons créé des espaces de dialogue où chaque membre de l’équipe partage ses stratégies d’adaptation », explique Hernandez-Bélanger. « Mon expérience personnelle avec le TDA me permet de comprendre intuitivement certains défis et de proposer des solutions pratiques. »

« C’est un processus d’apprentissage constant », reconnaît Hernandez-Bélanger. « Chaque personne neurodivergente est unique. Il n’y a pas de formule magique, juste beaucoup d’écoute et d’adaptation. »

L’effet d’entraînement

L’approche de Juillet Marketing commence à faire des émules dans l’industrie québécoise. Plusieurs autres agences ont contacté Hernandez-Bélanger pour comprendre comment implémenter des pratiques similaires.

« Jacob nous a ouvert les yeux », explique Caroline Bergeron, propriétaire de l’agence Pixel Perfect à Montréal. « Voir un entrepreneur neurodivergent créer délibérément une entreprise inclusive nous a fait réaliser que c’était possible. Il ne s’agit pas juste d’accommoder : il s’agit de repenser complètement nos modèles d’affaires. »

L’Ordre des conseillers en ressources humaines du Québec a même invité Hernandez-Bélanger à présenter son modèle lors de leur congrès annuel. « Il y a un énorme intérêt pour ces pratiques », note-t-il. « Les entreprises réalisent qu’elles passent à côté d’un bassin de talents incroyable. »

Les leçons pour l’industrie

L’expérience de Juillet Marketing révèle plusieurs principes clés que d’autres organisations peuvent adopter:

L’individualisation plutôt que la standardisation: Chaque employé neurodivergent a des besoins spécifiques qui nécessitent des solutions personnalisées.

La communication transparente: Les attentes doivent être claires, les processus documentés, et les feedbacks constructifs et réguliers.

La formation de toute l’équipe: L’inclusion réussie nécessite que chaque membre comprenne et soutienne la diversité cognitive.

L’investissement à long terme: Les adaptations demandent du temps et des ressources, mais les bénéfices dépassent largement les coûts.

Un modèle pour l’avenir

Dubois résume bien l’impact de cette transformation : « Pour la première fois de ma carrière, je me lève le matin en ayant hâte d’aller travailler. Je sais que mes différences sont valorisées, pas seulement tolérées. »

Cette philosophie s’étend désormais au-delà de l’équipe interne. L’agence privilégie les partenariats avec des fournisseurs qui partagent ses valeurs d’inclusion, et encourage ses clients à adopter des pratiques similaires.

« Nous sommes en train de prouver qu’une entreprise fondée par et pour les neurodivergents peut devenir un leader », déclare Hernandez-Bélanger avec fierté. « Mon TDA n’est pas un obstacle que j’ai surmonté pour réussir : c’est un atout qui m’a permis de créer une entreprise différente et plus performante. La neurodiversité n’est pas un défi à surmonter, c’est un avantage concurrentiel à cultiver. »

Perspectives d’avenir

Alors que je termine mon entretien avec l’équipe de Juillet Marketing, il devient évident que leur approche représente bien plus qu’une simple politique d’entreprise progressiste. C’est un modèle reproductible qui pourrait transformer l’ensemble du marché du travail québécois.

Pour Tremblay, qui a vécu la transformation depuis le début, le message est simple : « Travailler avec un patron qui comprend vraiment les défis neurodivergents change tout. Jacob n’essaie pas de nous ‘réparer’ ou de nous faire entrer dans un moule neurotypique. Il a construit une entreprise où nos cerveaux différents peuvent briller. Juillet Marketing a prouvé que quand des neurodivergents dirigent et conçoivent les milieux de travail, tout le monde en bénéficie. »

Dans un marché du travail en constante évolution, l’histoire de Juillet Marketing démontre que les entreprises qui embrassent véritablement la différence ne se contentent pas de survivre : elles prospèrent, innovent et redéfinissent les standards de leur industrie.